Interview d’Hitaka – Coach mental de l’équipe Mandatory
Afin de faire évoluer l’équipe Mandatory à différents niveaux durant le split 2 de la VRL, nous avons décidé de faire appel au coaching mental. Durant cette seconde période de l’année, nos joueurs ont pu profiter de l’expertise d’Hitaka, coach mental depuis plusieurs années maintenant. Que ce soit dans le sport, l’esport ou le poker, la performance c’est son domaine.
Du sport à l’esport, le coaching mental a toute sa place
Mandatory : Bienvenue Hitaka. Nous sommes ravis de t’avoir en interview ! Est-ce que tu pourrais te présenter ?
Hitaka : Bonjour ! Je m’appelle Yoan Pinaz, mon pseudo c’est Hitaka. Je suis coach mental de joueurs professionnels dans le monde de l’esport et celui du poker. Ce qui me passionne, c’est de comprendre comment, à partir de l’esprit, on peut devenir plus performant.

Mandatory : Avant que l’on rentre dans plus de détails vis-à-vis de ton parcours, est-ce que tu pourrais nous expliquer en quoi consiste le coaching mental ?
Hitaka : Qu’est-ce que c’est le coaching mental ? Ce n’est pas une question facile. En réalité, on pourrait apporter une multitude de réponses différentes. Chaque coach mental aura sa vision du coaching. Personnellement, ce que j’aime répondre à cette question, c’est que le coaching mental offre la possibilité de prendre du pouvoir sur soi-même.
L’être humain fonctionne énormément avec les habitudes. On a tous nos habitudes comportementales, des choses que l’on aime faire tous les jours, nos habitudes émotionnelles, nos habitudes de pensée. Confrontés à des situations similaires, on a tendance à avoir les mêmes réactions.
Le coaching mental permet de comprendre que l’on peut être la cause de son expérience, et non plus une conséquence. Une personne coachée apprend, dans un même contexte, à créer une réponse différente, plus adaptée à la performance. C’est se créer une nouvelle expérience.
Parfois, tous ces automatismes nous servent, et parfois ils nous desservent. Quelque part, ils sont limitants dans certains contextes et ils sont facilitants dans d’autres. Avec chaque joueur, il est donc très intéressant de se poser la question suivante “Quels sont les réflexes, les automatismes que je ressens limiter ma performance à un moment donné ?”.
L’erreur à ne pas faire dans ces situations, c’est de penser que tout le monde est pareil. Il est donc essentiel de faire du coaching sur mesure plutôt que de répéter les mêmes conseils. Je peux vous donner un exemple. Par le passé, j’ai eu deux joueurs sportifs qui avaient un rapport différent avec le fait de sentir battre leur cœur pendant leurs matchs.
L’un était très perturbé par le fait de sentir son cœur battre quand il ressentait du stress en compétition, l’autre au contraire était boosté par cette même information. Sentir son cœur battre l’aidait à se donner à fond, puisqu’il se sentait pleinement investi physiquement. C’est amusant, qu’on puisse avoir deux façons de réagir aussi différentes dans un même contexte..
Mandatory : Comment est-ce qu’on choisit de devenir coach mental ?
Hitaka : La principale raison qui m’a poussé à aller vers le coaching mental c’est la passion ! Je n’avais pas prévu ça et pourtant c’est devenu une évidence. Pendant mes études en Staps, la fac de sport, j’ai découvert des matières comme la psychologie, la sociologie, la préparation mentale. Puis j’ai lu de nombreux ouvrages jusqu’à être complètement passionné par ce domaine, sans réellement savoir ce que j’allais en faire.
Au fur et à mesure des années, durant la licence puis le master, c’est devenu très clair pour moi que mettre ces compétences au service de la performance avait beaucoup de valeur. On peut travailler avec des sportifs de haut niveau par exemple, mais aussi avec toutes les personnes qui cherchent à atteindre une forme de performance dans leur vie.

Mandatory : Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ton parcours professionnel ?
Hitaka : Le poker et le jeu vidéo, ce sont les domaines dans lesquels je travaille actuellement, mais j’en ai exploré beaucoup d’autres.
Initialement, j’ai travaillé avec la Division Nationale de BMX de Saint-Etienne ; pour l’anecdote j’ai notamment fait mon mémoire de recherche sur : « La modélisation du processus émotionnel en compétition chez des pilotes BMX ».
L’entraîneur de l’équipe, Julian Perrier, que je suivais, était incroyable, très ouvert à la préparation mentale. Il m’a offert l’opportunité d’évoluer aux côtés de 18 athlètes internationaux dont 2 champions du monde Christelle Boivin et Mathis Ragot Richard. Pour une première expérience professionnelle, c’était exceptionnel et surtout très formateur, j’ai adoré.
Par la suite, j’ai travaillé avec des entrepreneurs durant trois années. Cette période m’a permis de voyager, mais aussi et surtout de comprendre la psychologie des personnes qui construisent un projet, qui ont une vision. C’était là aussi très enrichissant.
Puis j’ai eu la volonté de rejoindre le monde de l’esport car je suis un joueur moi aussi, c’est un domaine qui me passionne. Je me suis déplacé sur des événements live et j’ai rapidement fait de belles rencontres.
L’esport m’a aussi ouvert la porte du milieu du poker, qui représente une grande partie de mon activité aujourd’hui. Pour ne citer que quelques noms, j’ai travaillé avec Romain Nussmann, Alexandre Reard, ou Julien Pérouse qui ont eu le plaisir de recevoir un titre de Champion du Monde. C’est un jeu qui m’attire beaucoup car c’est un jeu où les pressions psychologiques sont légions, c’est un objet d’étude magique pour un coach mental comme moi !
Mandatory : On veut en savoir plus sur tes goûts en matière de jeux vidéo !
Hitaka : J’ai tendance à être un tryharder quand je joue, donc il y a peu de jeux que j’ai pratiqué. En revanche, je suis resté fidèle ! J’ai énormément joué à Call of Duty sur PS3, puis à League of Legends sur PC. J’ai aussi adoré des petits jeux indépendants comme The Binding Of Isaac ou Super Meat Boy.
Mandatory : Sportifs, entrepreneurs, joueurs professionnels de jeux vidéo ou de poker… Comment gères-tu le passage d’un domaine à l’autre ?
Hitaka : Quand tu changes de public il y a évidemment des difficultés, en particulier la nécessité de s’adapter. Finalement c’est aussi ce qui a été le plus formateur.
Chaque domaine de performance est soumis à des pressions de différentes natures. Puis chacun d’entre eux a sa culture, ses codes, son langage. Réunir les informations, m’adapter à ces environnements et publics différents me permet de comprendre plus précisément les déterminants communs de la performance.
Par exemple dans l’esport, puisque le public est plus jeune, il y a une grosse dimension éducative concernant le coaching mental, que j’ai moins à faire dans le poker. “Comment est-ce que moi, en tant que joueur, je peux prendre du pouvoir sur ma façon de penser ou sur ce que je ressens pendant une performance ?”, “Comment est-ce que cela peut influencer mes résultats?”… Ce sont des questions intéressantes à aborder avec les joueurs.
Si c’est effectivement un challenge de travailler avec des personnes qui sont un peu plus jeunes, c’est aussi une magnifique opportunité. A leur âge, le cerveau s’adapte énormément, il est particulièrement plastique et, par conséquent, les apprentissages peuvent être extrêmement puissants. En tant que coach mental, on peut changer des trajectoires de vie. C’est donner une corde de plus à l’arc à des personnes qui vont s’adapter, à la performance dans la compétition, mais aussi à la vie de tous les jours.
La collaboration avec Mandatory se passe bien
Mandatory : Comment s’est mis en place la collaboration avec Mandatory ?
Hitaka : Ce qui est amusant avec Mandatory, c’est le contexte de la collaboration qui est étonnant. Le premier split a été un vrai challenge pour l’équipe, pendant la phase de performance notamment. Sur le deuxième split, il y a eu la volonté d’intégrer quelque chose de nouveau, d’intégrer une nouvelle dimension à la préparation, à savoir le coaching mental. Je suis donc arrivé dans un contexte où il y avait deux grandes contraintes : peu de temps et une nécessité d’efficacité.

Mandatory : Pour le moment, tu travailles à distance avec les joueurs. Est-ce que ce n’est pas trop gênant ?
Hitaka : Non pas spécialement. J’ai déjà l’habitude de le faire et de travailler en visio car les joueurs de poker que je coache vivent à tous les endroits du monde.
Néanmoins, il est vrai qu’il y a une grosse différence par rapport à un travail en présentiel. On peut le voir lors d’un bootcamp par exemple. Déjà les joueurs sont dans un environnement totalement différent de chez eux, et ils sont beaucoup plus réceptifs aux changements. Il y a davantage de choses qui passent sur le plan relationnel, sur le plan de la cohésion aussi. C’est le genre d’expérience que je compte offrir dans le futur.
Mandatory : Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ta façon de travailler avec l’équipe ?
Hitaka : Dans le contexte dans lequel je suis arrivé, il a fallu rapidement réunir les pièces du puzzle. Réunir de l’information et comprendre l’environnement des joueurs.
Dans cette optique, j’ai beaucoup échangé avec le staff, avec Nicolas notamment, qui chapeaute le tout, mais aussi avec les deux coachs, Menegh et CREA^, et bien évidemment avec les joueurs. Je vais prendre les informations en échange individuel et je commence à me faire une représentation globale. L’idée, c’était de trouver rapidement les axes les plus pertinents sur lesquels travailler afin d’améliorer la dynamique et les résultats de l’équipe.
Mandatory : Quel type de sujet abordes-tu avec les joueurs ? Sur quoi travaillez-vous ensemble ?
Hitaka : Pour prendre un exemple, dans toute performance, il y a un défi commun : être capable de rester concentré. En particulier dans des moments d’attente, comme lorsque l’on tient une ligne, l’esprit peut facilement être distrait par des pensées. On doit être capable de gérer cette phase d’attente pour être performant.
C’était l’un des challenges rencontrés par certains joueurs au premier split. On a donc vu ensemble comment shutdown le mental pour rester focalisé sur l’instant présent, dans une attitude d’anticipation. C’est important, parce que cela permet de prendre la meilleure décision, avec le temps de réaction le plus court possible. Il y a un certain nombre d’outils, de méthodes de travail, pour améliorer sa concentration, à connaître, et d’autres que l’on peut créer sur-mesure pour la personne.
Un exercice sympa consiste à focaliser son attention sur un point noir placé sur un mur pendant quelques minutes. A chaque fois que notre attention va partir à gauche ou à droite, il faut la ramener sur le point. Or, c’est un point noir, pas spécialement attirant ! Surtout si on le compare à tous nos écrans qui attirent beaucoup notre attention. Par conséquent, parvenir à se focaliser sur ce point noir par l’utilisation de la volonté est un vrai challenge. C’est un mouvement mental qui développe la capacité à focaliser son attention. On peut s’amuser à compter le nombre de fois où notre regard a dévié du point pour constater la progression.
Mandatory : Est-ce que tu as suivi les matchs de l’équipe ?
Hitaka : Ce n’était pas prévu que je les suive. Néanmoins, on m’a offert l’opportunité d’avoir accès à la communication des joueurs pendant leurs parties. C’était un objet d’observation extraordinaire pour moi, donc oui j’ai regardé tous les matchs ! J’ai pris des notes sur leur façon de communiquer et ça m’a aidé à comprendre la dynamique qu’il y avait dans l’équipe. Cela m’a aussi permis d’analyser le comportement des joueurs en temps réel, dans des situations critiques. Imaginons qu’ils soient à un round de la victoire, mais qu’ils se fassent remonter. Il y a plein d’observations intéressantes à faire : Comment la situation va transformer la communication ? Est-ce que l’ambiance change ? Est-ce qu’il y a des émotions particulières que l’on ressent ?
Mandatory : On suppose que oui, mais es-tu satisfait du travail accompli avec les joueurs durant le second split ?
Hitaka : Je suis satisfait parce qu’en termes de résultats, il y a une réelle différence. Le coaching mental est une des dimensions qui a évolué entre le premier et le deuxième split. Peu importe de savoir à quelle part exactement correspond le coaching dans cette réussite là. Le staff et moi considérons que c’est une vraie réussite. Nous sommes très satisfaits de l’expérience que nous avons vécue ensemble.

Mandatory : Au-delà des joueurs, est-ce que tu interviens dans la structure plus globalement ?
Hitaka : Le staff est très proche des joueurs et très efficace, donc je suis simplement intervenu pour de petits réglages. Pour prendre un exemple, en tant que staff on peut parfois être affecté par les victoires et les défaites, on a donc travaillé sur comment se détacher émotionnellement d’une victoire ou d’une défaite pour avoir une communication plus stratégique.
Mandatory : En ce moment, nous sommes en plein mercato. As-tu participé au choix des nouveaux joueurs ?
Hitaka : En ce qui concerne le mercato, je n’ai pas du tout participé aux réflexions. Mais si on y pense ça a du sens d’intégrer le regard d’un coach mental à la phase de recrutement à l’avenir.
On sait depuis longtemps maintenant qu’une bonne équipe n’est pas la somme de talents individuels, sinon les équipes pouvant se payer les meilleurs joueurs seraient toujours les premières. Une grande différence facile à observer c’est la cohésion de l’équipe. Dans l’optique d’une bonne cohésion, cela peut être utile d’être capable de répondre à des questions comme : Quel est le profil psychologique de ce joueur ? Quel est son type de personnalité ? Comment est-ce qu’il fonctionne émotionnellement ?
Mandatory : Aujourd’hui, toutes les équipes n’ont pas accès au savoir-faire d’un coach mental. D’après toi, est-ce une pratique qui est vouée à évoluer ?
Hitaka : Comme j’ai travaillé dans des contextes de performance très différents, j’ai pu observer qu’il y avait plusieurs façons de concevoir ladite performance. Le constat que je fais, c’est que l’ancienneté de la discipline est directement liée à son degré de professionnalisation. Plus la discipline se professionnalise, plus elle intègre de nouvelles dimensions pour soutenir la performance des joueurs. C’est comme ça que le staff se met à fleurir avec l’arrivée de kiné, de nutritionniste, de coach sportif.
Le coaching mental est simplement la suite logique et va devenir une évidence dans l’accompagnement des joueurs dans les prochaines années.
THE ultimate question !
Mandatory : Est-ce que tu regardes les matchs tout nu ?
Hitaka : Je ne suis pas les matchs tout nu… Je risque de me faire taper sur les doigts… Donc, à partir de maintenant, je prends la décision et l’engagement de suivre le dernier round avec le pantalon baissé !
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